Intervention de Jean-Louis CHAUZY
Président du Conseil Économique et Social Régional

Lors de l'Assemblée plénière commune CESR - Région Midi-Pyrénées

Contribution commune des conseillers régionaux et des conseillers économiques et sociaux de Midi-Pyrénées au projet de réforme des collectivités territoriales

Toulouse, le Lundi 16 Février 2009

Monsieur le Président de la Région Midi-Pyrénées,
Monsieur le Ministre, représentant le Président de la Communauté autonome d'Aragon,
Mesdames, Messieurs les Députés et Sénateurs,
Mesdames, Messieurs les Conseillers régionaux,
Mesdames, Messieurs les Conseillers économiques et sociaux régionaux,
Mesdames, Messieurs les membres de sections,
Mesdames ; Messieurs,

À circonstance exceptionnelle, initiative et mobilisation exceptionnelles des deux assemblées régionales qui juridiquement depuis la loi de juillet 1972 forment la Région.

Puisque c'est la première fois, non pas que nous travaillons ensemble, mais que nous invitons ensemble les conseillers régionaux et les conseillers économiques et sociaux de la région Midi-Pyrénées à apporter une contribution au chantier de la réforme des collectivités.

Vous le savez le Président de la République avait annoncé le 12 juillet 2008 qu'il lançait pour la fin de l'année le chantier de la décentralisation. Le 22 octobre, il installait le comité présidé par l'ancien Premier Ministre, Edouard BALLADUR, qu'il chargeait par décret d'étudier la réorganisation des collectivités territoriales, la simplification de la gestion administrative des territoires.

Défense de l'institution régionale

Très rapidement, la Région, comme les autres collectivités locales que sont les communes et les départements, a réagi à cette annonce. Elle a entamé, à l'instar des autres régions, des discussions au plan local et national pour assurer la défense du fait régional et de l'institution régionale. Dans une déclaration commune lors du Congrès de l'Association des Régions de France des 4 et 5 décembre 2008, les Présidents de Région ont réaffirmé unanimement leur détermination à défendre la Région, pivot de la décentralisation, « leur exigence d'être véritablement associés à tous les travaux et toutes les réflexions concernant une réforme des territoires, leur totale opposition à toute modification du mode de scrutin régional qui apporte stabilité et visibilité à la région, leur combat en faveur d'un acte III de la décentralisation et d'une véritable République décentralisée, leurs attentes en matière de réforme de la fiscalité locale », pour reprendre les termes de cette déclaration. La France a besoin d'un vrai débat sur la clarification des compétences de l'Etat et des collectivités locales.

Dans le même temps, les conseils économiques et sociaux régionaux, que j'ai alertés par lettre en juillet 2008, se mobilisaient autour de ce débat pour défendre également la Région, échelon naturel et pertinent d'aménagement et de développement des territoires. C'est la plus jeune des collectivités mais c'est aussi la plus prometteuse, de par ses compétences, en prise directe avec la vie quotidienne, qu'il s'agisse de l'emploi, du développement économique, de la formation professionnelle, de l'aménagement des territoires, de la protection de l'environnement, de l'éducation et de la recherche, de l'innovation.

Les CESR ont également réfléchi à la manière dont ils pourraient valoriser leur fonction consultative. C'est ainsi que l'Assemblée des Conseils Economiques et Sociaux Régionaux de France, dont j'assure la vice-présidence aux côtés de son Président, Alain EVEN, mettait en place un groupe de travail que j'anime, sur la réforme des collectivités locales. Une délégation de l'ACESRF a été reçue et auditionnée par M. BALLADUR qui le 28 janvier 2009 souhaitait connaître la position des CESR face à cette réforme, le bilan qu'ils faisaient de leur fonction, les relations de travail avec le Conseil Régional. Il a également souhaité connaître les propositions qui seraient faites par les CESR pour le renforcement de leur rôle, dans l'hypothèse où les missions des CESR seraient abordées lors du rapport final.

Ainsi, pour le Président Martin MALVY et moi-même, il nous est apparu très rapidement naturel et indispensable que nos deux assemblées se réunissent ensemble, fait historique en plus de 35 ans d'existence de la collectivité, et s'accordent sur une contribution commune pour nourrir le débat national et qui sera transmise au Comité Balladur. C'est ce qu'a décidé unanimement le bureau du CESR réuni le 4 février 2009. Nous avons appris que certains élus avaient demandé la suppression des CESR.

Un peu d'histoire :

C'est sous la IVème   République et plus précisément sous la Vème République que le mouvement de représentation des forces économiques et sociales va s'accélérer.

Ainsi en 1954 sous le gouvernement de Pierre Mendès France, un décret reconnaît la vocation des comités d'expansion économique à donner leur avis dans le cadre d'une « organisation régionale, départementale ou locale chargée de mettre au point le développement économique et local dans le cadre du Plan régional».

En 1955 est mis en place le programme d'action régionale qui harmonise les circonscriptions administratives et organise progressivement les différents services de l'Etat dans le cadre de 21 régions de programmes. L'État met en place ses institutions dont des préfets de région (fonction exercée par le préfet du département où se trouve la capitale régionale).

Les décrets du 14/03/64 iront plus loin en instituant auprès des Préfets de région des commissions de développement économique régional (les CODER) chargées d'émettre des « avis sur les questions relatives à la mise en oeuvre du développement économique et social et de l'aménagement du territoire » de la région. Ces CODER préfigurent les CESR actuels.

Ces CODER sont composées des élus au suffrage universel (conseillers généraux, maires), des représentants des branches économiques et sociales (désignés par les chambres consulaires et les par les organisations professionnelles et syndicales d'employeurs et de salariés de l'industrie, de l'agriculture et du commerce), des personnalités qualifiées nommées par le 1 er Ministre en raison de leur compétence.

C'est la loi du 5 juillet 1972 qui instituera dans le cadre des 20 « établissements publics régionaux » deux assemblées : à côté du conseil régional constitué d'élus, il y a un comité économique et social qui participe par « ses avis à l'administration de la région ».

Les lois qui vont suivre vont renforcer le rôle des comités économiques et sociaux en en faisant des acteurs et des observateurs de la décentralisation. Le principe de l'élection au suffrage universel du conseil régional en 1986 n'écartera pas cette seconde assemblée. ; celle-ci verra sa composition modifiée avec une augmentation des représentants des syndicats et associations ;   une parité de principe est établie entre collèges patronal et syndical.

C'est la loi du 6 février 1992 « sur l'administration territoriale de la République» qui confortera la place des CES dans les institutions régionales en étendant les saisines obligatoires à l'ensemble des documents budgétaires ou des schémas directeurs, en reconnaissant le titre de « conseils économiques et sociaux régionaux » qu'ils revendiquaient pour affirmer ainsi leur identité institutionnelle, la possibilité de créer des sections par décret en Conseil d'Etat ; ce que nous avons fait en 1994 en instituant la section Prospective et la Section Europe-International.

La loi VOYNET de 1999 prévoit que le CESR est consulté sur le Schéma régional d'aménagement et de développement du territoire et sur les schémas de services collectifs.

La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales en étendant les compétences des régions, étend par la même celle des CESR.

2009 : Quelle est la situation de la France décentralisée

Quels que soient les efforts des collectivités pour faire la pédagogie de leurs actions, la France comprend autant de communes que toute l'Europe réunie et trois niveaux d'administrations territoriales dont chacun revendique les mêmes niveaux de compétences et le droit d'intervenir sur tout dans la seule limite de ses budgets. C'est la clause de compétence générale qui l'autorise sans qu'une collectivité ne puisse exercer une tutelle sur une autre.

Quelle lisibilité pour les citoyens ?

Il en résulte pour le citoyen une absence totale de visibilité, de compréhension de qui fait quoi. Est-ce un facteur du désengagement de nos concitoyens pour tout ce qui touche à la vie publique locale ? C'est ce que tendraient à montrer depuis 25 ans les reculs de participation dans tous les scrutins locaux.

Quels coûts :

La réforme de la fiscalité est en question, la suppression de la taxe professionnelle annoncée par le Président de la République le 5 février pose très clairement la question des ressources fiscales et donc des moyens pour les collectivités d'exercer leurs responsabilité. Bien sûr la réforme n'est pas simple, cela fait plus de 20 ans que tout le monde l'appelle de ses voeux, mais elle est d'une plus grande complexité en raison de l'affaiblissement de l'Etat et du poids colossal de la dette publique.

Sur les évolutions institutionnelles, le droit à l'expérimentation et le pouvoir réglementaire des régions, notre assemblée aura l'occasion de préciser ses propositions en reprenant le rapport adopté en mars 2003 sur « La Région Pivot de la Décentralisation ».

Mais aujourd'hui est un jour particulier, il est nécessaire et politiquement utile d'afficher des principes généraux communs avant que l'ancien Premier Ministre ne rende public le rapport.

Nous ferons ensuite lors du deuxième semestre 2009 avec l'Association des Conseils Economiques et Sociaux Régionaux notre travail de lobbying auprès des groupes parlementaires et du gouvernement.

L'étude réalisée par un grand cabinet international KPMG, pour le compte de l'Association des Départements de France montre que la fusion région-département ne permet pas de faire 10 milliards d'économies mais seulement 600 millions. Si cette fusion se réalisait, nous assisterions à la naissance d'un colosse administratif fort de plus de 10 000 agents. Comment serait alors gérées les charges de fonctionnement ?

Quelles politiques publiques pour la France

De la démarche participative mise en place par le premier Président de la Région Alain Savary multipliant dans les bassins d'emplois et les villes des réunions de travail avec les élus mais aussi les partenaires sociaux et les membres du premier comité économique et social régional et qui a signé un livre de référence « un avenir pour Midi-Pyrénées », proposant dès 1977 une stratégie de développement économique à la consultation engagée par la région en 2006 et 2007 pour élaborer les schémas régionaux de développement économique, des infrastructures de transports, des formations professionnelles, des formations sanitaires et sociales nous voyons apparaître la région stratège, chargée par sa vision globale du territoire de se donner les moyens de préparer l'avenir.

La région stratège, partenaire de l'Etat et de l'Europe devient alors le bon échelon pour définir les grandes politiques formation-emploi, innovation, recherche, enseignement supérieur, développement économique. Avec les infrastructures de transport dont les transports collectifs, nous avons là un bloc de compétences qui doit être conforté et à partir duquel la région peut passer des conventions avec la métropole, devenue communauté urbaine, acte majeur que nous devons saluer, mais aussi avec les communautés d'agglomération de Tarbes, Albi, Rodez, Montauban, Castres-Mazamet, Muret, le Sicoval, qui doit aujourd'hui s'interroger sur sa place dans la communauté urbaine.

Mais la région est aussi un partenaire des territoires organisés que sont les pays et les Parcs Naturels Régionaux. La Région est le partenaire de l'Europe dans la gestion partagée des programmes européens, par le Comité des Régions et par l'Eurorégion.

Le CESR et la Région

Au fil de ces années le Conseil Economique et Social, avec six commissions et deux sections Prospective et Europe-International, chargés de préparer nos avis est devenu un acteur incontournable, aux côtés du Conseil Régional sur tous les grands chantiers et les préparations des contrats de plan, schémas régionaux, programmes européens.

L'intérêt de nos avis et leur prise en compte par la région, l'Etat ou les autres acteurs s'inscrit dans la durée : j'en donnerai quelques exemples :

•  Les évolutions sur l 'enseignement supérieur et la recherche concentrées jusqu'en 1992 à Toulouse ont pu se faire sur la base des avis motivés du Conseil Economique et Social Régional et le soutien actif de tous les Recteurs passés en Midi-Pyrénées et Présidents de Région. Pourtant personne ne croyait que nos idées se mettraient en oeuvre.

•  La promotion des grandes infrastructures nécessaires à une métropole et à une région d'Europe amène le CESR dès octobre 1993 à faire la promotion d'une traversée centrale des Pyrénées dédiée notamment au ferroutage.

•  Nos travaux sur les filières industrielles : textile, aéronautique, espace, chimie, agroalimentaire, comme sur les équipements de recherche ou les systèmes productifs locaux nous ont permis d'avoir compris dès leur annonce les enjeux de la politique de l'Etat en faveur des pôles de compétitivité au point d'avoir fait émerger un troisième par l'agriculture, l'agroalimentaire et la recherche agronomique, c'est Agrimip Innovation, largement soutenu par la Région et l'Etat.

•  La section prospective du CESR nous propose de nouvelles réflexions sur les évolutions de Midi-Pyrénées à partir du bilan et de l'évolution de dessins de 2010 préparés en 1992.

•  La section Europe-International travaille aux coopérations du CESR   dans l'euro-région mais aussi aux critères d'attractivité de Toulouse et Midi-Pyrénées en Europe et dans le monde.

•  Le développement économique, l'emploi, la formation, la cohésion économique et sociale, la sécurisation des parcours professionnels, la lutte contre l'exclusion sont au coeur de nos préoccupations et de nos travaux.

•  L'investissement des conseillers économiques et sociaux aux côtés de la région fait vivre le dialogue entre la région et ses partenaires.

C'est aussi pour ces raisons que notre vigilance est grande sur le projet de réforme en cours, les conclusions du rapport d'Edouard Balladur et du projet de loi qui sera proposé aux assemblées.

Pour faire face à la crise économique et sociale conséquence de la crise financière, si nous avons besoin d'un Etat fort dans sa fonction de régulation et d'une Europe forte pour défendre notre économie, notre industrie, notre agriculture, nous avons aussi besoin à l'exemple de l'Espagne, de l'Allemagne ou de l'Italie de régions fortes dotées de moyens financiers pour exercer leurs compétences.

Ce n'est pas une affaire de taille, regardez les résultats du Pays Basque.

La révision générale des politiques publiques

Si La révision générale des politiques publiques est nécessaire pour la modernisation de l'organisation de l'Etat et son recentrage sur ses grandes missions, elle ne doit pas se faire au détriment de la solidarité et de la cohésion territoriale.

La réforme des chambres consulaires

De même la réforme des chambres consulaires, si elle doit permettre de mieux mutualiser les moyens sur des fonctions qui sont largement du niveau régional, cela ne peut se faire sans garantie de moyens humains et financiers au niveau local pour apporter aux villes moyennes et aux territoires ruraux l'expertise nécessaire au développement local, à l'innovation.

La réforme des réseaux consulaires ne devrait se faire qu'après le débat parlementaire sur la réforme des collectivités pour êtres en cohérence avec la nouvelle architecture institutionnelle.

Renforcer la démocratie consultative dans la réforme territoriale

Ainsi, comme je viens de le démontrer, au fil des années, les CESR ont vu leurs rôles et compétences renforcés. La Région est devenue le seul échelon administratif de gestion des territoires qui depuis plus de 35 ans repose sur un dialogue fixé dans un cadre législatif et réglementaire organisé entre le conseil régional et le CESR.

Par une représentation des acteurs économiques, sociaux, associatifs, culturels, environnementaux, les CESR assurent par leurs travaux, analyses et propositions, l'expression des acteurs de la vie régionale, ils sont :

•  porteurs d'une valeur ajoutée au sein des institutions régionales et

•  facteurs de cohésion.

Dans cette société morcelée et une économie mondialisée, il est important de renforcer les moyens et l'autonomie des CESR.

L'Etat doit cesser de mettre les CESR en concurrence avec une multitude de comités consultatifs ad hoc crées en région pour l'examen de nouvelles réformes.

Dans les fonctions d'anticipation, d'analyse, de proposition et d'évaluation, les missions des CESR devraient être renforcées.

La rénovation des CESR pourrait être envisagée pour permettre une meilleure représentation de la jeunesse, de la diversité culturelle et des femmes.

Sauvons la Région et la modernisation de notre gouvernance

A l'exemple des régions voisines, espagnoles, allemandes, italiennes, nous souhaitons que les régions françaises soient l'interlocuteur de l'Etat et de l'Europe et possèdent dans un bloc de compétence déterminant la formation des hommes, l'innovation et la recherche, le développement économique et l'emploi et disposent des moyens financiers de leurs responsabilités.

20% des budgets du département sont partagés avec les compétences des autres collectivités. C'est ce que la loi devra clarifier avec des régions chefs de file, adoptant des schémas ayant une valeur prescriptive.

La carte des intercommunalités doit être élargie et renforcée à l'échelle des bassins d'emplois avec des élus au suffrage universel direct.

Enfin l'Etat ne doit plus considérer les régions et les autres collectivités comme son tiroir-caisse (LGV, Plan Campus, Routes nationales....).

Sur tous les sujets relevant des compétences partagées, à l'exemple de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne, une conférence annuelle Etat-Région s'impose.

Enfin le mode de scrutin doit conforter l'identité régionale des conseillers régionaux avec de vraies majorités tout en maintenant une représentation large des forces en présence.

Notre sort est lié, l'affaiblissement de la région, serait l'affaiblissement de la démocratie et de la modernisation de la France.

En conclusion

Organiser cette réunion commune dédiée à la réforme des collectivités et l'avenir de la région et donc de nos deux assemblées, écrire une déclaration commune sur quelques principes forts et demander l'ouverture d'un grand débat national, ce n'est pas aliéner notre indépendance et notre autonomie de pensée, c'est au contraire affirmer l'engagement de notre assemblée consultative aux côtés des élus régionaux pour défendre et faire connaître un territoire d'avenir, espace de réflexion, d'analyse et de propositions.

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